vendredi 13 avril 2012

Le jour où Philippe Poutou est devenu Président


Nous sommes le mercredi 16 mai 2012. L’été est arrivé tôt cette année. Le soleil brille sur la capitale alors qu’un petit homme discret aux cheveux gris en bataille, fraîchement rasé, en chemise col mao et les manches du pull-over remontées, descend timidement la rue du Faubourg Saint-Honoré. Derrière lui, ses copains de l’usine Ford de Blanquefort l’accompagnent, riant fort et parlant haut. Le petit groupe évite machinalement le trottoir longeant le palais de l’Elysée, gardé par des hommes en uniforme. Arrivés à hauteur de la grande grille marquant l’entrée de la résidence des chefs d’Etat français, ils traversent la rue. Et au gendarme venu au devant de cet étrange cortège, le meneur répond, en s’excusant presque : « ben, euh… C’est que c’est chez moi maintenant ! » Le gradé de l’ère sarkozienne devra s’y faire, Philippe Poutou est le nouveau Président de la République. Sous le képi et malgré l’impartialité que lui impose sa fonction, le gendarme se demande encore comment son pays en est arrivé là…

L’heure était à la stupéfaction un mois plus tôt, au soir du 22 avril 2012. Alors que tous les journalistes politiques attendaient François Hollande - et pourquoi pas Jean-Luc Mélenchon ? - à la sortie du premier tour des élections présidentielles, c’est le frêle et naïf visage du candidat anticapitaliste du NPA, Philippe Poutou, qui est apparu face à celui sec et dur du Président sortant. Les ténors de la gauche ne pouvaient s’en prendre qu’à eux-même : leur violente altercation la semaine précédente leur avait porté préjudice. En venir aux mains - et jusqu’aux dents, aux dires de certains témoins - sur un plateau de télévision et se retrouver l’objet de plaintes pour coups et blessures, destructions de biens et injures raciales est rarement bien vu des militants et des électeurs. Un « pétage de plombs » dû au stress et à certaines carences alimentaires, selon les médecins.

Coup de Trafalgar

Il y a fort à parier que le leader socialiste ait aussi payé le prix fort de l’aveu lâché en « off » à un journaliste des salons politiques, lui faisant part des « inquiétudes des marchés » à voir le PS prendre les rênes de la France. « Qu’ils se rassurent, lui avait-il répondu, faisant tournoyer un vin de Cahors au fond de son verre. J’appliquerai l’école Mitterrand : barre à gauche pendant un an, pour la forme, et on vire de bord pour le reste du quinquennat. De toute façon, ce n’est pas comme si on avait le choix… » La formule faisait dès le lendemain la Une des journaux. Fatal.
De là à voir l’ouvrier fordien faire la nique au Président Sarkozy, qui aurait pu le prévoir ? Le deuxième « coup de trafalgar » fut l’abandon par forfait de ce dernier entre les deux tours, le jour du 1er mai, fête du travail. Que s’est-il donc passé dans la tête du candidat UMP, donné victorieux haut la main dans tous les sondages ? La crise et son éreintant mandat auraient-ils eu raison de sa légendaire ambition ? « Y a plus d’essence dans l’moteur », aurait-il simplement confié à ses proches en guise d’explication, ajoutant qu'il souhaitait désormais se retirer avec son épouse, Carla Bruni-Sarkozy, dans la campagne turinoise.
L’ex première dame de France a fait part de ses réactions dans un bref entretien accordé au journal Libération : « mon époux est devenu fou. Je l’aime, mais je le quitte pour sauver notre amour ». Coup dur pour un homme qui semblait forgé à toute épreuve, alors que le jour même de la publication de la fâcheuse interview devait se dérouler la passation de pouvoir, devant les caméras du monde entier.

« Pour l’état des lieux, on verra plus tard ! »

Branle-bas de combat dans les rédactions, panique de la place boursière, fuite des fortunes et malaise général. Voilà donc notre Poutou national foulant des pieds le gravier blanc de la cour d’honneur du palais de l’Elysée, un peu gêné de se trouver là et ne sachant pas bien quoi faire de ses bras devenus soudain trop lourd. Il dépasse la Citroën présidentielle qui attend de raccompagner son prédécesseur vers un ailleurs, avance hésitant dans la haie formée par la garde nationale, comme dans un rêves, puis s’arrête au pied des marches menant au palais et à la fonction. En haut du perron, Nicolas Sarkozy, pâle, immobile, ses habituelles et inutiles gesticulations ayant cessées aussi soudainement que ses ambitions. Il n’y aura pas d’entretien secret, comme à l’accoutumé. A peine un regard entre ces deux hommes désormais liés par l’histoire de France. Et une seule parole en guise de passation de pouvoir, de celui qui part à celui qui arrive : « voila les clés. Pour l’état des lieux, on verra plus tard ! » Historique. Puis L’ancien chef de l’Etat s’engouffre dans la voiture noire aux vitres teintées. Les graviers crépitent sous les pneus de l’auto, qui s’échappe à toute vitesse.
Tout seul devant la porte d’entrée aux grands carreaux de verre, Philippe Poutou laisse échapper un rire nerveux, salut les caméras d’un discret hochement de tête et s’essuies les pieds avant de disparaître dans le hall. A Blanquefort, les collègues syndiqués de l’ouvrier devenu Président débouchent une bouteille de mousseux. Le gérant de l’usine n’a pas souhaité se joindre à eux.
Au même instant, à quelques rues du jardin des Tuileries, dans le 365 m² qu’il occupe sur le quai Voltaire, le couple Chirac éteint le poste de télévision. Étrangement avachie dans un fauteuil Louis XV, Bernadette vient de sacrifier à sa retenue naturelle en poussant ce cri du cœur : « ils nous auront mis dans une belle merde ces cons ! » Le vieux Président assis à ses côtés semble absorbé par le fond de son verre vide, ne levant les yeux que pour les poser sur la bouteille de pastis artisanal qui l’attend sur la table basse. Et d’une haleine anisée : « maman, il reste du pamplemousse ? »



Nota bene 
Le lecteur amical excusera les quelques libertés prises par l'auteur pour le bon déroulé de la fiction. Tout n'est ici que pure invention, si ce n'est bien sur, le goût prononcé de Jacques Chirac pour le Saunier, cocktail à base de pastis et de sirop de pamplemousse.

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