lundi 11 juin 2012

Peer Gynt chemine au Grand Palais


C’est l’histoire d’une vie d’homme, dans ses petites lâchetés et ses grandes folies. C’est le récit des soifs d’aventure, une quête de liberté et de sens : celle de Peer Gynt, héros du conte philosophique imaginé par le norvégien Henrik Ibsen. Une histoire « qui n’est ni exemplaire ni édifiante, qui n’est universelle que par son caractère humble et complexe », commente Eric Ruf, metteur en scène de cette pièce qui s'est joué ce printemps à Paris. 

Un départ 
Peer Gynt a 20 ans, rêve de gloire et s’ennuie dans son village du fond de la campagne norvégienne. Fantasque, mythomane, querelleur et vantard, il s’attire les foudres de sa mère et les moqueries des villageois. Ayant séduit, puis déshonoré une future mariée le jour de ses noces, il se voit obligé de quitter le pays. Il le fera avec le sourire, direction les montagnes, puis les continents lointains. Solveig, jeune femme pure et timide, qu’il aime et qui l’aime en retour, le laisse partir. Son Peer Gynt à besoin de cheminer. Elle l’attendra, le temps qu’il faudra.
S’en suit pour notre héros une vie d’aventures, avec, chevillée au corps, cette volonté farouche de devenir quelqu’un. En bien ou en mal, quel qu’en soit le prix ou les voies empruntées. Mais son désir profond est bien plus complexe : « Ibsen, raconte le traducteur François Regnault, a inventé de sommer son héros déficient, tout au long des cinq longs actes qu’il traverse en glissant, marchant, courant, suant, nageant, errant et se perdant, de répondre constamment à la question de savoir ce que peut bien signifier cette formule saugrenue propre à la condition humaine : être soi-même ». 

« Suffit-toi toi-même » 
Tour à tour négrier, capitaliste, poète fortuné ou ruiné, prophète ou roi des fous, il court après un empire, la réussite sociale, le pouvoir, les femmes… Peer veut être heureux et se fourvoie volontiers dans les joies faciles, de fausses consolations qu’il prend à bras le corps avant de s’en lasser, ou de s’en trouver écarté. « Suffit-toi toi-même », lui ont un jour appris les trolls des montagnes. Il fera sienne cette devise tout au long de sa vie. Jusqu’à l’heure dernière, l’heure des comptes où, se retournant sur son parcours, il n’y verra qu’une succession de longues années d’errance. Sans savoir s’il n’a jamais réussi un jour à « être lui-même », sans n’avoir jamais été, finalement, ni bon ni vraiment mauvais. 
Quelle consolation pour celui qui, au soir de sa vie, se trouve confronté à la vacuité de son existence ? Vers qui aller, puisque le voyage de Gynt nous apprend que l’homme ne peut se suffire à lui-même ? Il y a cette femme, Solveig, seule dans la forêt. Elle qui a attendu patiemment que Peer chemine. Le voilà de retour, vieux et fatigué : « dis-moi où j’étais, moi, moi-même, celui que je suis vraiment ? » « Tu étais dans ma foi, dans mon espoir et dans mon amour », lui répond Solveig. Son empire était là. Peer le voit enfin, et avec lui la révélation du sens d'une vie qui lui avait échappée, l’espérance d’une communion plus profonde, seule apte à répondre, finalement, à l’énigme humaine : « tu es mon enfant, lui murmure Solveig, et ton père est celui qui te pardonne quand je lui demande ». 

Une route comme décor 
« Sans doute nous reconnaissons nous aisément dans cette parabole faite d’orgueil fou, de lâcheté, de revanche et de prières tardives », confie le metteur en scène, Eric Ruf. Ce dernier a choisi de représenter chaque âge de la vie de Peer Gynt sur une « une route-scène-plateau. Une route : bête métaphore de la vie. Une route en déshérence où l’on traîne son dimanche en rêvant de campagnes glorieuses et de filles faciles ». De part et d’autre de cette route : les spectateurs, dans « un dispositif de représentation bi frontal, afin que le voyage de Peer Gynt se déroule non pas face mais au creux du public ». Donnant vie aux multiples personnages de la pièce, la troupe de la Comédie française excelle et avec elle, les musiciens, qui revisitent les thèmes du compositeur Edvard Grieg. Il fallait un écrin à cette œuvre profonde et à la performance des acteurs : ce sera le salon d’honneur du Grand Palais, tout juste rénové. « Il y a des cousinages fortuits entre l’œuvre et le lieu : le gigantisme, le gracile, la porosité, la lumière et la complexité de l’architecture. Tous deux sont dédaléens mais paradoxalement clairs », explique Eric Ruf. C’est la folie des bâtisseurs qui rejoint la folie des héros et de ceux qui leur donnent vie. « D’ailleurs, disait Ibsen, Peer Gynt est bien ce que j’ai écrit de plus fou ! » Fou et beau, comme une vie d’Homme.




Article publié par Terre de Compassion, le 13 juin 2012.

3 commentaires:

  1. Merci pour cet article. Il donne envie de découvrir cette oeuvre et surtout le parcours de vie de ce personnage...

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  2. Merci pour votre message. N'hésitez pas à vous plonger dans la lecture du livre (on le trouve dans toutes les bonnes librairies ou sur internet), en attendant l'occasion de voir la pièce ! Au plaisir d'en rediscuter.

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  3. Pour la pièce, je pense que c'est trop tard. Par contre, j'ai pu mettre la main sur le livre. Une oeuvre & des personnages originaux. Un mélange de Lewis Carroll & de Samuel Beckett. Une folie pleine de sagesse et une mise en garde en filigrane. J'ai beaucoup aimé les délires mystiques de Peer Gynt. Ca fait bizarre de le suivre sur plusieurs décennies. Il vit sa vie comme si elle était éternelle, sauf à la fin et même là, Solveig lui rend son éternité.
    Ibsen a pas mal de choses à transmettre, ça mériterait bien une relecture. Je vais aussi mettre ses autres oeuvres sur ma liste.
    Et la musique de Grieg est sublime, surtout la mort d'Aase. Je l'avais déjà entendue avant mais je ne savais pas qu'elle se rapportait à cette pièce :)
    Belle découverte. Merci encore à vous.

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