mardi 9 avril 2013

Puisqu'il n'y a qu'au combat qu'on est libre



« La liberté ne consisterait pas à suivre tous ses désirs mais à trouver en soi une certitude qui éveille, une paix qui dure et nous détache des aléas de l’existence » (Blanche de Richement, Manifeste vagabond)

Combien le "mariage pour tous", une fois adopté et ce qui s'en suit avec, concernera-t-il de personnes, directement ? Pas grand monde en vérité. L'Insee recense 100 000 couples homosexuels (1). Sur les 0,6 % des personnes en couple que cela représente, il y a fort à parier que tous ne souhaitent pas mettre leurs noms en bas d'un parchemin... Encore moins auraient les moyen financiers de recourir à une PMA ou une GPA ! Alors deux questions se posent, selon que nous soyons contre ce projet - pourquoi le gouvernement nous fait-il suer avec une telle loi ? - ou que nous y soyons favorable : pourquoi mettre tant d'ardeur à s'y opposer ?

A ces deux questions la même réponse s'impose : le champ de bataille est plus vaste qu'il n'y parait. Le fond du débat n'est pas la loi Taubira. Le fond du débat n'est pas l'intérêt ou le désintérêt de l'artificialisation de la filiation au service de l'égalité. Le fond du débat n'est même pas le bien-fondé d'une prétention à la location des ventres pour tous. La déstructuration du modèle familial, la GPA, sont les pièces d'un puzzle, au même titre que l'euthanasie et la recherche sur l'embryon. Au même titre que le libéralisme débridé de nos économies. Au même titre que l'enfant roi, que l'homme-guimauve et la femme botoxée. Tous ces points participent à l’affrontement entre deux modèles sociaux, deux conceptions de ce que doit être la société. Des visions de l'homme qui s'opposent. Et la véritable, la seule, la véritablement fondamentale interrogation est : dans cette bataille, quelle sera ma place ? Choisirai-je un étendard ? Si oui, irai-je le brandir aux avant-postes ? Ou bien préférerai-je une place au balcon, critique théâtrale d'une pièce où je pourrai, au choix, m'assoupir ou siffler, sans jamais fouler les planches. Ou dans la fosse, entre les cordes et les cuivres, à suivre le mouvement ? Mais comme dit le « voisin tromboniste » d’Hadjadj : « quand on joue de la musique, une chose est de connaître la partition, une autre d’être dedans »!(2)

J’appréciais dans un précédent papier (ici) le réveil des chrétiens de France au travers du mouvement de la Manif pour tous, estimant qu’ils assumaient enfin le fait d'être dans une république et d'avoir une voix à y faire entendre. Je suivais en cela l’analyse d’un proche qui ajoutait, très justement : « c'est une nouveauté pour nous, qui avons été éduqué dans un respect qui confine parfois au manque de courage… »

Peut-être avions nous effectivement oublié que faire entendre notre voix était l’impératif de notre foi, le premier de nos devoirs. « Nous ne pouvons pas accepter que le sel devienne insipide et que la lumière soit tenue cachée », affirmait Benoit XVI (3). Cette exigence inscrite dans le patrimoine génétique du croyant, sinon du citoyen, n’a rien, absolument rien de confortable. Mais avons-nous le choix, nous qui avons la prétention de vouloir être libres ?

A cette exigence donc, nous sacrifierons notre confort. Pas question de nous contenter de la partition, nous voulons vivre pleinement la musique ! Ne serait-ce que par soucis de cohérence. Et puis, « celui qui est désigné doit marcher, nous dit Péguy. Celui qui est appelé doit répondre. C'est la loi, c'est la règle, c'est le niveau des vies héroïques, c'est le niveau des vies de sainteté ! »(4) Ce n'est d'ailleurs pas qu'affaire de foi. Nous retrouvons dans ce cheminement toutes les âmes de bonne volonté qui ne veulent pas se résoudre à s'asseoir. Toutes les âmes de bonne volonté qui veulent vivre debout. Tous les chercheurs, tous les marcheurs, ceux qui veillent, ceux qui rêvent d'une consolation véritable. D'une raison de vivre. Pas de médailles, un sens à la vie. Cette soif de vérité et de justice n’est-elle pas universelle ?

Croyant ou non, le pire des maux qui nous guettent est l’indifférence. L’indifférence, parée du manteau de la tolérance ou assumant son je-m'en-foutisme, endort. L’indifférence gangrène. Elle est la rouille rongeant le fer. La vérité, c'est qu'il n'y a qu'au combat qu'on est libre. Parce qu'il nous faut sortir de nous même, abandonner notre confort pour nous mettre au service d'une cause. Le service : meilleur anti-rouille pour nos armures.

Il faut bien remercier notre gouvernement. Il faut bien remercier les Taubira, les Bergé, les Binet et la foule des autorisés à penser : leurs gifles nous ont réveillés ! Acculés, il nous faut combattre. Combattant, nous retrouvons la vigueur de nos pères, les racines de nos convictions. Ainsi enracinés, nous pouvons grandir ! Et nous affirmons avec les auteurs maudits (5) que « nous sommes les hommes égarés dans le pire des meilleurs des mondes, et nous refusons, maintenant, de céder un pouce de terrain. L’heure est à la révolte spirituelle contre le pire meilleur des mondes que l’on veut nous faire, l’heure est à l’incarnation, l’heure est aux sentinelles de l’invisible, l’heure est à la vie contre la mort, l’heure est à l’être contre l’hédoniste ultra-individualiste, l’heure est au devoir contre le droit, l’heure est à la cause commune contre le droit particulier, l’heure est au don de soi contre l’esprit procédurier, l’heure est à l’Histoire contre la fin de l’Histoire. L’heure est à la poétisation du monde par l’action ».

« Puisque c'en est sonné la mort du politique, l'heure est aux rêves, aux utopiques », chante un autre maudit, Damien Saez, dans l’une de ses œuvres (Jeunesse lève-toi). Si les utopistes sont ces fous qui rêvent debout, reconnaissons leur la dignité de la posture. Debout, ils dépassent de loin le peuple des assis. Et le poète d'envoyer :
« Au clair de lune indien, toujours surfer la vague
A l'âme au creux des reins, faut aiguiser la lame
Puisqu'ici, il n'y a qu'au combat qu'on est libre
De ton triste sommeil, je t'en prie, libère-toi
Puisqu'ici il faut faire des bilans et du chiffre
Sont nos amours toujours au bord du précipice
N'entends-tu pas ce soir chanter le chant des morts ?
Ne vois-tu pas le ciel à portée des doigts ?
Jeunesse, lève-toi ! »



(1) Insee, février 2013.
(2) Fabrice Hadjadj, La foi des démons.
(3) Benoit XVI, lettre apostolique Porta Fidei.
(4) Charles Péguy, Notre jeunesse.
(5) Jacques de Guillebon et Falk Van Gaver, amicalement (citation tirée de L’anarchisme chrétien).

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