mardi 15 octobre 2013

Une île de la tentation pour Nouvelles de France



"Il n'est pas donné à l'homme de se faire un autre berceau" (Charles Péguy)
On pourrait croire à un gag, à un premier avril à l’automne signé Nouvelles de France (NDF). Mais cette revue du web est décidément plus habituée à susciter la grimace que le rire... La raison de cet éventuel et légitime fourvoiement ? Un article marquant le lancement d’un projet de recherche, puis d’achat d’une île pour en faire un « Etat souverain » et « assumer notre identité française, économiquement libérale mais socialement conservatrice » (sic).

NDF prônant l’émigration ? Ne riez pas. L’idée fait son chemin depuis plusieurs mois chez ses contributeurs. Un site internet a même vu le jour pour recueillir les premières inscriptions/souscriptions. « Où trouver la liberté perdue, de vivre dans une société qui valorise ce qui est valeur? », se demandent les administrateurs du site. Leur réponse : « ailleurs, indéniablement. Et pourquoi pas sur une île, un peu en retrait de ce monde ? S'organiser par-delà les mers en une microsociété, non pas refermée sur elle-même, mais qui, de par ses principes simples, nobles et solides, pourra rayonner ». « Peut-être est-il nécessaire que la graine meure pour renaître », ajoutent-ils, comme s’il leur appartenait d’en décider.

Les penseurs de ce projet se défendent de tout repli sur soi. Faut rayonner, disent-ils. Mais plutôt que de rayonner au cœur du monde, ils souhaitent établir une base arrière. Parce que « l’ennemi – l’oligarchie – doit être pris en tenaille ». Et en maîtres de guerre, ils lancent leur appel du 18 juin : « nous appelons les français à continuer la France : ailleurs, dès maintenant, en conservant la nationalité française afin de continuer à peser/résister ici ». 

On peut comprendre le plaisir intellectuel qu’il y a à réinventer hymnes et blasons au zinc d’un bistrot. En lisant Eric Martin, rédacteur en chef de NDF, on découvre que le fantasme dépasse la gentille discussion de comptoir : « imaginez le confort moral si, comme les musulmans conservateurs avec l’oumma ou les juifs conservateurs avec Israël, bien que Français et vivant en France, nous disposions d’une seconde patrie où nos valeurs ne sont pas et ne seront jamais bafouées », écrit-il. De là née la tentation d’une île.

A vendre : 4 000 ha avec vue sur mer, 11,5 M$

Bien joli de rêver l’oumma chrétienne ou une franchouillarde Israël, mais comment y parvenir ? Facile : « nous proposons l’acquisition de la propriété d’une île peu ou pas habitée dans un pays soit favorable au principe de la vente de la souveraineté, soit acculé financièrement et à qui nous proposerions de se délester d’un tout petit morceau de son territoire contre une somme d’argent ». En d’autres termes, il se trouvera bien un peuple dans le besoin, prêt à vendre à bas prix quelques terres pour assouvir d’occidentales ambitions : le Portugal, la Grèce, les Fidji… « Nous avons notamment remarqué Tikina-I-Ra, dans le sud Pacifique, dont la propriété est proposée à la vente 11,5 millions de dollars pour plus de 4 000 hectares vierges ». A prendre, ou à laisser.

Désintéressons nous avec NDF du sort des autochtones et imaginons un instant qu’une telle acquisition se réalise. A quoi pourrait alors ressembler cette "Nouvelle Isle de France" ? À une « petite France prospère et traditionnelle, patrie de cœur de tous les conservateurs amoureux de la France du monde où le peuple déciderait vraiment », nous répond-on, des étoiles dans les yeux. Voilà. Ce que veulent ces durs-rêveurs, ce n’est pas un pays fait d’histoire, pas une nation faite d’hommes, mais une idée. Et une idée qui sent bon la schlague ! En effet, Eric Martin propose d’organiser cette société autour de cinq points fondamentaux, « à déterminer puis à formuler correctement », précise-t-il. En gros : la défense de la vie, du mariage religieux (le civil disparaissant), de la famille naturelle, de la liberté d’éducation et de la liberté d’entreprise. Plutôt bien, dit comme ça. Si ce n’est que toute déviance conduirait à chasser « de facto » l’outrecuidant. Cohérent, peut-être. Cela porte un nom : dictature. Pour des gars ne souhaitant pas « refaire les mêmes erreurs que celles du passé » et qui se revendiquent « amoureux de la liberté », selon leurs propres termes, prôner à la fois l’oumma et l’Etat d’Israël tout en rêvant de totalitarisme relève d’une gymnastique intellectuelle qui force le respect. Mais peut-être n’avons-nous pas en tête les mêmes « erreurs du passé »

Je note au passage cette référence historique, osée dans l’une des tribunes de NDF (celle-ci) : l’auteur prend l’exemple des nobles émigrés pendant la révolution française comme preuve du « vrai patriotisme », parce qu’ils sont partis préserver leur modèle social outre-manche. Je retiens quant à moi le combat de ceux qui n’ont pas eu, ou fait, le choix de l’exil, et qui sont morts d’avoir cru aux promesses de soutien de cette aristocratie fuyarde. « Ces émigrés-là, souffrant d’un mal du pays à force de vivre dans des cultures étrangères à leur esprit français, sont rentrés – un peu tôt sans doute pour nombre d’entre eux – et n’ont pas été victorieux sur tous les plans », note l’auteur. Ils sont en tout cas rentrés assez tard pour ne pas avoir à mêler leur sang avec celui des paysans, dans les eaux de la Loire ou les champs du bocage. Fin de la parenthèse historique.

« Serez-vous de l’aventure ? »

 « Si vous trouvez cette idée folle – c’est votre droit, pas la peine de nous le dire… Nous le savons déjà », ironise Eric Martin. Mais Monsieur, si votre idée n’était que folle, elle pourrait être belle.

Comme une petite tape sur l’épaule du frère un peu trop rêveur, vos « confrères et amis » de la gazette en ligne Le Rouge et le Noir, vous mettent en garde : « la Nouvelle Isle de France ne pourra fleurir ni porter le moindre fruit si elle ne naît au sein même de l’ancienne Île-de-France, si elle n’en confirme et renouvelle la fonction de cœur vivant de la nation française, si elle n’investit l’héritage de cathédrales, d’emblèmes et de champs de bataille légué par les siècles, si elle n’œuvre pas, comme la longue suite de nos prédécesseurs, au perfectionnement du legs français de toute antiquité dans le devenir perpétuel de la Création ».

Je souscris à cette remontrance, bien que ma tape se veuille moins amicale. « Serez-vous de l’aventure ? », nous demandez-vous. Non point. La nôtre, d’aventure, nous accapare trop. Nous vous laisserons donc filer à l’anglaise, nous qui avons choisi le bocage.

Joseph Gynt
Article publié sur les Cahiers libres, le 15 octobre 2013

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