mercredi 8 janvier 2014

Du journalisme et des journalistes #1 : nouvelle époque, vieilles rancœurs


« ON CONDUIT AUJOURD’HUI LES LECTEURS COMME ON N’A PAS CESSÉ DE CONDUIRE LES ÉLECTEURS. Beaucoup de journalistes, qui blâment avec raison la faiblesse des mœurs parlementaires, feraient bien de se retourner sur soi-même et de considérer que les salles de rédaction se tiennent comme les Parlements. Il y a au moins autant de démagogie parlementaire dans les journaux que dans les assemblées. Il se dépense autant d’autorité dans un comité de rédaction que dans un conseil des ministres ; et autant de faiblesse démagogique. Les journalistes écrivent comme les députés parlent. »

Voilà un trait bien envoyé à nos chers « médias » ! LibérationFrance Inter et les autres… A tous ces « faiseurs d’opinion » qui, dit-on, jugent et donne le la de la symphonie française moderne depuis leurs salons parisiens. Toutes ces rédactions que l’on aime tant détester. Et qui, il faut bien le dire, nous en ont donné cette année quelques raisons. Oui mais voilà : ce trait, affuté et bienvenu, date de… 1901 ! Ecrit de la main de l’ami Charles Péguy, dans ses Cahiers de la quinzaine (dans De la raison). Il ne devait pas se douter que son « aujourd’hui » serait autant d’actualité, cent ans après sa mort.


De même, Emile Zola dénonçant le « flot déchainé de l’information à outrance » ne projetait pas ses peurs sur l’avenir médiatique pour le siècle d’après lui. Dans un essai sur L’éthique des journalistes au XIXème siècle, Thomas Ferenczi, directeur adjoint de la rédaction du Monde, note que Zola s’inquiétait dès 1888 de la « fièvre d’informations qui caractérise la presse moderne ». Pour lui, la presse, présentait déjà des aspects négatifs : « le sensationnalisme, le retentissement donné aux moindres faits, cette perpétuelle agitation qui fait qu’on n’a plus le temps de réfléchir, de penser ». Zola stigmatisait encore, dans un article du Figaro de 1897, « la basse presse en rut, battant monnaie avec les curiosités malsaines ». D’autres que lui : « un amas informe, indigeste, de petits faits qui tombent les uns par-dessus les autres »… Rien n’aurait donc changé depuis la naissance du journalisme moderne ? Selon l’universitaire Adeline Wrona, « les contemporains ont toujours l’impression que les journalistes de leur époque sont pires que les précédents ».

Intervenant à ses côtés lors d’une conférence aux Bernardins, le 19 novembre dernier, son collègue Alexis Lévrier ((Tous les deux ont publié cette année un ouvrage consacré à l’histoire du journalisme : "Matière et esprit du journal, du Mercure Gallant à Twitter", chez Pups.)) faisait remarquer que « chaque révolution technologique est l’occasion de mettre en cause les liens entre le pouvoir politique et médiatique ». Aujourd’hui, internet, les réseaux sociaux… Hier, le passage d’une presse d’opinion à une presse d’information, les innovations de l’imprimerie, l’arrivée de la photographie… Aujourd’hui, le « politiquement correct », les accointances gouvernementales, les silences institutionnalisés sur les travers de nos politiques, et l’uniformisation de l’information. Hier, la corruption des journalistes, comme dénoncée lors du scandale de Panama, la collusion des intérêts, flagrante dans l’affaire Dreyfus…

« La vérité, rien que la vérité »

Cette dernière affaire a marqué une rupture sans précédent dans la manière de faire du journalisme. En effet, face à la presse anti-dreyfrusarde, que l’auteur du « J’accuse » nomme « la presse immonde », presse manipulée par l’état-major français, s’est développé une presse d’investigation, en recherche de « vérité objective ». « Certes, nuance Thomas Ferenczi, les articles de Zola, de Clemenceau ou de Jaurès ne correspondent pas à l’idée qu’on se fait aujourd’hui de l’objectivité. Ils expriment des convictions fortes, c’est-à-dire des subjectivités assumées. Mais ils manifestent aussi, par rapport au journalisme dominant, une volonté de rompre avec les habitudes d’une presse qui obéit à deux grandes motivations, le parti-pris politique et le calcul commercial. Une presse, écrit Zola dans le Figaro du 1er décembre 1897, où se mêlent les passions et les intérêts les plus divers. Les passions, c’est-à-dire le sectarisme qui aveugle, et les intérêts, c’est-à-dire le racolage qui fait vendre ».

Ferenczi raconte encore que, dans un livre sur le journalisme publié en 1892, Eugène Dubief oppose, aux deux extrêmes, le journaliste qui « monnaye le scandale » et qui est « en quête d’histoires louches » à celui qui « s’est fait journaliste comme il se serait fait apôtre » et dont le rêve est « l’éducation politique, économique, artistique, morale de ceux qui lisent ». « Quel sera, demande Eugène Dubief, le journal digne de ce journaliste ? Ce sera celui qui aime son parti mais plus encore l’impartialité et qui a pour consigne « la vérité, rien que la vérité », qui la dit même à ses amis, surtout à ses amis ».

Une consigne qui rejoint le fameux précepte d’Albert Londres (1884-1932) : « notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».

Quelle leçon avons nous tiré de l’expérience de nos aïeux ? Nous verrons dans de prochains chapitres que le phénomène d’institutionnalisation de la presse française nuit encore et toujours. Combien il est toxique et freine les innovations, autant qu’il trahit les exigences du métier. Mais nous soulignerons aussi qu’il ne faut pas désespérer de la presse d’information. Depuis l’aurore du journalisme, il s’est toujours trouver des amoureux de la lettre et de la vérité pour redresser la barre d’une barque sans cesse tentée par la dérive. Aujourd’hui encore, aujourd’hui surtout où il faut à la presse relever le défi d’internet, le champ des possibles est immense. Le journalisme doit se réinventer. Et les journalistes, se retrouver. Une fois de plus.

Joseph Gynt
Publié sur les Cahiers libres, le 8 janvier 2014.

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