dimanche 1 novembre 2015

Mort et dignité : le combat fallacieux de l’ADMD


"En ce temps-là, la vieillesse était une dignité ; aujourd'hui, elle est une charge."  (Chateaubriand)

Depuis mille ans, le 2 novembre est le jour des morts. Désormais, il est aussi la « journée mondiale pour le droit de mourir dans la dignité ». L’ADMD, association éponyme, poursuit sa campagne de communication pro-euthanasie en organisant une centaine de manifestations dans toute la France.

Moi aussi, petit catho amoureux de cette chienne de vie, je revendique un droit à mourir dans la dignité. Tard et sans souffrir, si possible. Et si cette coupe m’est destinée, qu’il me soit donné la force de la boire avec orgueil, jusqu’à la lie. Tout en craignant plus la douleur que la mort, je refuse de faire de mon état physique ou mental l’étalon de ma dignité, ou de mon  indignité à vivre. Question de fierté. De liberté, aussi.

« Comment peut-on se dire libre et maître de son destin si l’on ne peut éviter la déchéance ? », se demande l’écrivain Michel Lee Landa, dans le texte fondateur de l’ADMD. Remarque pertinente, qui fausse pourtant le raisonnement dès le départ. Car après tout, peut-on davantage se dire libre et maître de son destin sans avoir choisi de naître ? Me dire le capitaine de mon âme n’a eu aucune incidence sur ma croissance ni sur le creusement de mes premières rides. Sans encore parler de foi, je peux reconnaitre que ma déchéance, comme mon avènement, relèvent du mystère. Or je ne peux être maître que de la part qu’il m’est donné de maîtriser.

Pas de mystère, que de la chair
Nous devions parler de la fin de vie et des souffrances inhérentes, et nous voilà causant de liberté. La technique est rodée et nous fait oublier le point de crispation véritable, le fondement même de notre opposition à l’euthanasie et le vrai champ du débat : la notion de dignité.

La dignité peut se définir comme le respect naturellement mérité par l’homme. Cette idée que « quelque chose est dû à l’être humain du fait qu’il est humain », pour reprendre le philosophe Paul Ricoeur. C’est, de fait, le fil rouge et la cohérence des combats en faveur des plus faibles, de l’esclave au miséreux, de l’embryon à l’impotent. Une vision « judéo-chrétienne » rejetée par l’ADMD, pour qui la dignité se rattache directement à l’autonomie de la volonté : je suis digne tant que je le veux/peux. Pas de mystère, que de la chair. Pas de sacré, que de la mécanique. Et quand la mécanique flanche, que reste-t-il ? Une carcasse encombrante : « qui peut dire que Vincent Humbert avait une vie digne alors qu’après un accident de la route, il était devenu tétraplégique, aveugle et muet ? », interroge un récent tweet de l’association… Dès lors, une logique subtile et désastreuse s’enclenche. Dans le débat sur l’euthanasie, il n’est désormais plus question de la prise en compte de « l’humiliation, l’avilissement et l’attente passive de la mort », contrairement à ce qui est affirmé (1), mais du degré de dignité de celui sur qui pèse ce joug.

Il suffit de poursuivre la lecture du texte fondateur de l’ADMD, pour voir combien le ver de la pitié fallacieuse à rongé le fruit de la compassion :

« Je ne me permettrai jamais de devenir geignard, pusillanime et capricieux comme l’oncle Machin qui réclame sa nourriture avec des cris perçants et bave en mangeant. Pas pour moi le destin de grand-mère sourde et aveugle, qui se parle avec des petits bruits effrayés et qui ne quittera son lit que pour sa tombe. Pas moi le radoteur, le gâteux, le grabataire, qui ne contrôle même plus ses sphincters, dégage une puanteur atroce et, dont les fesses ne sont qu’une plaie vive. Une visite à un mouroir est fortement recommandée à tous ceux qui ne veulent pas entrer dans la vieillesse à reculons. Je leur garantis une vision saisissante de notre civilisation, une insulte à leur dignité, une remise en question fondamentale comme l’est la présence de certaines maladies mentales ».

Lourdes, Calcutta et fashion week

Bien sûr, quiconque a traversé un tel endroit peut comprendre le dégoût de l’auteur. Qui, après tout, n’entre pas dans la vieillesse « à reculons » ? Mais celui qui a fait l’effort d’y rester plus de cinq minutes sait aussi qu’il y a moins d’insulte à la dignité dans le pourrissement des corps, que d’occasion de célébrer cette même dignité dans une caresse sur le front de la grand-mère effrayée. Dans chaque cuillérée portée aux lèvres de l’oncle Machin. Dans les soins les plus intimes, accordés aux plus grabataires. Car « la fin de vie reste un temps de la vie et, dans bien des cas, un temps à vivre encore » (2).

« Ce n’est pas la mort qui indigne, c’est l’absence d’accompagnement », clame le Pr Bernard Debré. Ne serait-il pas de la responsabilité de la profession médicale de contredire un patient affirmant que sa vie ne vaut pas la peine d’être vécue ? Et de lui répondre alors « vous êtes aimé » ? (3) « Oui, mourir peut être laid, sale et malodorant, poursuit le médecin. Mais c’est aussi aux vivants qu’il appartient d’être dignes en faisant en sorte que la mort ne soit rien de tout cela (…). La dignité du mourant se confond alors avec celle, admirable, des hommes et des femmes qui l’accompagnent dans ses derniers instants : personnel hospitalier, famille, proches, qui consacrent affection et dévouement à rendre digne d’être vécue une vie qui s’en va » (4).

J’affirme avoir vu plus de dignité dans le sourire miraculeux d’une petite vieille désarticulée à Lourdes, que dans les défilés des plastiques sacrifiées de la fashion week. J’ai vu plus de célébration de l’homme dans les dispensaires de Port-au-Prince et de Calcutta, où l’on côtoie la mort et les membres amputés, que dans les pages de magazines exaltant la beauté de corps manufacturés. Comment expliquer cela, si la dignité essentielle de l’homme se résume à une vie sans faille ?

A vouloir limiter la grandeur de l’homme à ses capacités mécaniques ou mentales, on en vient, comme l’ADMD, à défendre la dignité dans la mort plutôt que dans la vie. Débattons de la douleur et des moyens d’y remédier. Parlons de soins palliatifs et d’accompagnement fraternel. Mais la dignité humaine, c’est-à-dire celle qui vaut « d’être soigné, entouré et respecté, aimé jusqu’au bout » (5), n’est pas et ne sera jamais négociable. Un homme libre doit pouvoir vivre et mourir dans cette dignité, si l’on conçoit qu’il est un peu plus que de la chair en mouvement.
Joseph Gynt
Publié sur les Cahiers libres le 1er novembre 2013


 (1) « Le droit de mourir s’accompagnera d’une modification profonde et bénéfique des mœurs et des valeurs. La perspective scandaleuse d’une fin de vie solitaire, affligée, probablement nécessiteuse qui ne débouche que sur l’humiliation, l’avilissement et l’attente passive de la mort, disparaîtra », Michel Lee Landa
(2) « Euthanasie : la gauche se renie », Koztoujours.
(3) Lire à ce propos l’article de Terre de Compassion relatant la conférence donnée à l’université catholique de New York cet été : « Briser le mythe d’une bonne mort : discussion sur l’euthanasie et la valeur de la souffrance en fin de vie »
(4) « Nous t’avons tant aimé/L'euthanasie, l'impossible loi », Pr Bernard Debré, Ed. du Cherche Midi.
(5)  « Je veux mourir dans la dignité », Hervé Catta. Plus d’infos sur http://culturecitoyenne.net/

ILLUSTRATION : Chagall, Abraham pleurant Sarah.

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